La fantasia : une tradition équestre d'inspiration guerrière (2024)

Encore aujourd’hui, dans les pays du Maghreb, impossible d’échapper à la fascination qu’exerce la légendaire fantasia... Une traditionéquestre qui met à l’honneur les races d'Afrique du Nord.

Un simulacre équestre de combat

Vivant symbole d’une équitation ancestrale et spectaculaire,la fantasia reste auréolée de mystère. Elle se pratique traditionnellement sur des chevaux Barbes ou Arabes-Barbes.

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L’écrivain Jean-Louis Gouraud aconsacré quelques pages à la fantasia dans son passionnant ouvrage «Petite géographieamoureuse du cheval». Voici ce qu’il en dit, la rapprochant d’une autre traditionéquestre d’inspiration guerrière: la djighitovka du Caucase.

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«Le mot, d’abord. On ne sait pas très bien d’où ilvient. Ce n’est pas, en tout cas, celui qu’utilisent ceux qui la pratiquent (denos jours, au Maroc, on préfère le mot tbourida). Pour les auteurs d’un desrares livres consacrés à L’Art de la fantasia, «ce terme trouvevraisemblablement son origine dans un sabir utilisé en Afrique du Nord, à basede français, d’italien, d’espagnol et d’arabe». Il serait intéressant de savoir, aussi, d’où vient le motsabir – mais cela nous éloignerait de notre sujet.

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Au moins le mot fantasiaest-il bien choisi. Il évoque, en effet, quelque chose de joyeux, de festif, defantaisiste- ce qui est tout à fait le cas de cette exhibition équestre, qui sejoue sur une très courte distance (150 à 200 mètres suffisent) et consiste – engros – à lancer son cheval, départ arrêté, à vive allure, à lui demander uneaccélération foudroyante, pour l’arrêter pile en bout de piste, au pied desspectateurs médusés.

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On agrémente l’exercice de quelques gesticulations aussispectaculaires et, depuis l’invention du fusil à poudre, aussi bruyantes quepossible. Lorsqu’on est en groupe - une dizaine de cavaliers constituedéjà une belle sorba -, tout l’art consiste à faire «parler lapoudre», comme on dit dans les westerns, d’une seule voix. Tous lescavaliers sont priés de décharger leurs pétoires simultanément. Mais il est desrégions d’Afrique du Nord où l’on préfère le sabre au fusil. Il faut alors lefaire tournoyer de la manière la plus acrobatique possible autour et au-dessusde soi.

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Il existe toutes sortes de fantasias. Dans l’est del’Algérie, elle se pratique individuellement, et offre alors l’occasion demontrer l’habileté du cavalier à manier le sabre, l’épée ou le fusil – parfoismême les trois à la fois. Cela peut alors ressembler beaucoup à la djighitovka. Dans cette région, la monture utilisée est généralement unejument dont la croupe, par pudeur, peut-être (?), est recouverte d’untissu aux couleurs chatoyantes qui descend jusqu’à mi-jarrets. Plus à l’ouest,les fantasias sont plutôt collectives, et on y utilise plutôt des chevauxmâles.

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Dans une (excellente) biographie d’un des personnages lesplus pittoresques du Second Empire, Edmond Jouhaud cite un témoin de ce quifut, peut-être, la plus grande fantasia de tous les temps, organisée le 18septembre 1860, à l’occasion de la visite de l’empereur Napoléon III enAlgérie. Voici ce témoignage: "La vaste plaine qui s’étend sous lesyeux des spectateurs est muette… Tout à coup débouche une caravane avec sestroupeaux et son escorte. Simulant l’attaque de cette caravane, des milliersde cavaliers (vous avez bien lu: des milliers – on a parfois dit dixmille! ) se ruent sur elle et tournoyant au galop et en déchargeant leursarmes; ces longs fusils plaqués d’argent ou de corail; ces chevauxalertes carapaçonnés de housses de soie de couleurs variées; ces hautescoiffures noires en plumes d’autruche – attribut des guerriers – couronnant latête des plus braves; ces femmes, du haut de leurs palanquins hissés surdes chameaux, simulant l’effroi et poussant des cris sauvages; cette miseen scène, à la fois grandiose et bizarre, vrai décor d’opéra, décuplé cent foispar le nombre des acteurs, tout cela produisit sur l’esprit de Leurs Majestésun étonnement indicible».

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Jeu viril par excellence, la fantasia est réservée,naturellement, aux messieurs. Mais on commence à voir quelques équipesféminines percer, au Maroc en particulier, qui est aujourd’hui le pays arabe oùla fantasia est la plus pratiquée, la plus encouragée et la plus codifiée. Des fantasias y sont régulièrement organisées, de nos joursencore, un peu partout dans le pays, en particulier à l’occasion des moussems,rassemblements festifs dont le prétexte est souvent la célébration du souvenird’un saint local.

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Si les pouvoirs publics encouragent – et encadrent – ces manifestations, ce n’est pas seulement pourmieux les contrôler. C’est aussi parce qu’elles permettent le maintien detraditions dont la vivacité constitue indéniablement un puissant attrait touristique,et surtout parce qu’elles fournissent un prétexte aux gens de la campagne pourcontinuer à élever des chevaux: de bons chevaux, capables de briller sousla selle de leurs cavaliers enturbannés. On a bien compris au Maroc que la seule vraie sauvegarde duch*eval, c’est son utilisation. Le jour où l’on cessera d’organiser desfantasias, le cheval – barbe et arabe-barbe, en particulier – disparaîtra dupaysage»

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La première narration d’une grande fantasia au Maroc par un Occidental est celle que reproduit Louis Mercier en appendice à sa traduction de La Parure des cavaliers et l’insigne des preux, qui est un peu la bible de la spécialité. Il s’agit d’un gros traité de furusiya (par ce mot, il faut entendre l’ensemble des connaissances des Arabes en matière d’équitation, d’hippologie et d’hippiatrie), rédigé au 14ème siècle de notre ère par un certain Aly ben Abderrahman ben Hodeil el-Andalusy à la demande du sultan et roi de Grenade.

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Publiée en 1924, cette traduction est accompagnée d’un important appareil critique, et notamment du récit que fit un certain James Rilley, capitaine d’un brigantin américain ayant fait naufrage en novembre 1815 au large de Mogador (aujourd’hui Essaouira), d’un rassemblement de «treize à quinze cents chevaux arabes, aussi légers que le vent et plein de feu», que l’on soumettait, par vagues de 100, à des charges de cavalerie qui ressemblent beaucoup – mais en plus grand – aux fantasias d’aujourd’hui.

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Le témoin y vit une sorte de simulacre de bataille: «Une espèce de petite guerre au combat simulé». Il y a de cela, en effet, confirme Louis Mercier. «Toute la conception de la guerre, écrit-il, toute la tactique du Bédouin, tient dans la formule el feerr ul ferr, la charge, et le repli brusque, la fuite simulée», dont la fantasia est une sorte de parodie, d’illustration ludique.

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Merci à Jean-Louis Gouraud de faire profiter aux lecteurs du blog son érudition !Ouvrage édité chez Actes Sud, également disponible surequibooks.fr

Lisez aussi sur le blog:

  • Race : le barbe, héros des fantasias

  • Petite géographie amoureuse, de Jean-Louis Gouraud

  • Jean-Louis Gouraud, fidèle amoureux du cheval

Partez au Maroc, pays de la fantasia, avec Cheval d'Aventure

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